Il est étrange d'écrire ces mots, de t'adresser cette lettre comme à un vieil ami que je n’aurais pas vu depuis longtemps. Je viens vers toi un peu comme on jette une bouteille à la mer, dans l’espoir que tu me liras et que l’on pourra reprendre contact. Je me tourne vers toi aujourd'hui avec une âme chargée de regrets, mais aussi avec une reconnaissance profonde. J’ai analysé ma vie sous tous ses angles et je réalise sincèrement que je dois te demander pardon. Je t’ai si souvent accusé d’être absent, de m’avoir abandonnée.
Durant des années, j’ai cru que tu m’avais tourné le dos. J’ai grandi dans une enfance où les rires étaient rares, et les pleurs fréquents. J'ai traversé tant d’épreuves enfant, puis adolescente. Ma vie sentimentale d’adulte s’est mêlée à la douleur, les trahisons se plantant dans le dos comme on supprime des raisons de vivre au sourire.
La solitude semblait être mon unique compagne. Dans ces moments-là, j’ai fermement cru que tu m’avais délaissée, que tu préférais éclairer d'autres vies que la mienne. J'étais persuadée que le bonheur était un trésor lointain, inaccessible, réservé à d'autres. Je t’ai aperçu parfois, à la naissance de mes filles par exemple. Mais les épreuves se chargeaient d’éteindre rapidement les lueurs d’espoir qu’avaient fait naître mes bébés, en me rejoignant sur mon chemin de vie. Oui j’ai tellement cru que tu ne voulais pas de moi cher Bonheur. Pourtant, je réalise aujourd'hui que tu étais toujours là, caché dans les coins les plus simples de mon existence, patient, attendant que j’ouvre les yeux. Je réalise enfin que j’avais donné les pleins pouvoirs à la tristesse. A tel point que je ne te voyais pas. Ne te considérais pas. Je ne sais pas si c’est la douleur qui avait pris trop de place ? Ou si c’était moi qui lui accordais toute la place. J’en ai voulu à la vie, j’en ai voulu à Dieu, à tous ses Saints aussi. Et puis à toi. C’est lorsque j’en ai voulu à moi-même, que j’ai commencé le chemin de la rédemption. Ce chemin qui m’a inspiré l’envie de reprendre le contact avec toi. Alors oui, aujourd’hui je sais ….
Tu étais là, Bonheur, dans ces matins où le soleil perçait timidement à travers les rideaux, teintant la pièce d'une douce lumière dorée. Tu étais là dans la chaleur d'une tasse de thé, dans la sensation apaisante d'une couverture enveloppante lors des soirées d'hiver. Tu étais dans le sourire d'un inconnu croisé dans la rue, dans les feuilles d'automne qui dansaient au vent, dans le parfum des fleurs au printemps. Toutes ces petites choses que je prenais pour acquises, qui me semblaient insignifiantes, étaient en réalité des manifestations de ta présence.
Je t'ai cherché dans les grandes conquêtes, dans les réussites éclatantes, dans les amours idéalisées, mais tu te cachais dans les gestes modestes, dans la tendresse d'une main serrée, dans le chant discret d'un oiseau au lever du jour. J'étais trop aveuglée par mes attentes, trop perdue dans mes désirs inassouvis, dans des lamentations abreuvées de mon passé, pour reconnaître les douceurs que tu me glissais discrètement.
Pardon de t’avoir blâmé pour des souffrances que je croyais infligées par ton absence. J'ai compris maintenant que tu n’étais pas parti, que tu ne m’avais jamais quittée. Tu étais là, attendant patiemment que je te voie, que j’apprenne à te reconnaître dans les détails de la vie, dans les moments de silence, dans la simplicité du quotidien.
Aujourd'hui, je veux te remercier pour ta fidélité, pour ta patience. Merci d'avoir été ce compagnon discret mais constant. Merci pour les éclats de rire inattendus, pour les rencontres fortuites qui ont réchauffé mon cœur, pour la beauté des petites choses que j'ai enfin appris à apprécier. Merci de m’avoir épargnée de l’épreuve de la faim et de la soif. Merci d’avoir illuminé ma vie de mille manières, même lorsque j’étais incapable de le voir.
Je réalise que tu es ce souffle de vie qui anime chaque instant, que tu te trouves dans les creux et les sommets, dans les ombres comme dans la lumière. Tu es dans chaque battement de cœur, dans chaque inspiration, dans chaque sourire. Même dans la douleur, tu étais présent, me montrant qu'il y a toujours une lueur, une raison de continuer à avancer, à espérer.
Alors, Bonheur, je te promets d'être plus attentive à l'avenir, de te chérir comme tu le mérites. Je veux t'accueillir dans chaque jour qui se lève, dans chaque rencontre, dans chaque instant que la vie m’offre. Je sais maintenant que tu n’es pas un but lointain, mais une présence constante, un éclat de lumière qui réside en moi et autour de moi, prêt à briller dès que je décide de le reconnaître.
Merci d’être là, toujours, même lorsque je ne le voyais pas. Et pardon d’avoir douté de toi. Aujourd'hui, je te reconnais, et je t’accueille avec gratitude et humilité. Aujourd’hui je sais au plus profond de moi que le Bonheur est un choix.
Avec toute ma reconnaissance,
© Angèle Delphes